Le savoir-faire de la pierre sèche
Des bâtis en pierre sèche
De nombreux bâtis sont réalisés en pierre sèche sur le site UNESCO des Causses et des Cévennes. Cela provient de l’abondance du matériau, la pierre, présente sur place et cela est d’autant plus vrai lorsque l’on se trouve sur des zones géographiques dépourvues de bois, comme les causses.
De plus, souvent coconstruits à l’écart des villages, les édicules en pierre sèche sont économes car ils ne nécessitent pas d’amener de liant.
En effet, la pierre sèche, c’est construire sans jointer les pierres, sans y adjoindre le moindre mortier ou ciment. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, cette technique est très solide. Des murs de soutènements de routes, de chemins, des terrasses, des ouvrages hydrauliques ou des enclos sont construits avec cette technique. Certains édicules ont plusieurs centaines d’années mais leur résistance est intacte.
École de la pierre sèche
L’école de la pierre sèche présente en Lozère au Col de l’Espinas forme aujourd’hui des muraillers, nom de ceux qui construisent les murs en pierre sèche. Ce savoir-faire qui a complètement disparu dans certaines régions françaises trouve ici un renouveau certain.
Écologique et résistant
En plus d’être écologique, ce mode constructif a fait l’objet de nombreux tests scientifiques afin de mesurer sa résistance et les résultats sont impressionnants.
Le savoir-faire de bâtisseur en pierre sèche se transmettait par voie orale et chaque agriculteur était capable de construire une cazelle ou un mur de clôture.
Le seul point négatif aujourd’hui, c’est l’impossibilité de dater ce type de construction, car cette technique, de par sa facilité de mise en œuvre logistique, est employée depuis des siècles, voire des millénaires. Le savoir-faire qu’elle nécessite cependant est bien réel car il faut savoir trier les pierres et surtout les agencer afin que la construction soit résistante.
Parmi les techniques de la pierre sèche, on trouve aussi la pierre clavée qui consiste à poser les pierres sur chant, ce qui leur confère une plus grande force encore. On les trouve ainsi dans les rascasses construites dans les lits de ruisseaux ou dans les calades.
Aujourd'hui, la technique de la pierre sèche a été reconnue comme patrimoine immatériel dans plusieurs pays et inscrite en 2018 sur la Liste du PCI de l’UNESCO.
Le savoir-faire de lauzier
Lauzes de calcaire ou de schiste
La lauze est le nom donné aux pierres utilisées pour couvrir les toits. Celui qui les pose est un lauzier. Il existe plusieurs types de lauzes : de calcaire ou de schiste.
La lauze de calcaire est peut-être la plus difficile à travailler car le travail de préparation des lauzes est un peu plus exigeant. Dès l’extraction, il faut être capable de déceler la lauze gélive car le calcaire est une roche sédimentaire, plus sensible au gel que le schiste, par exemple.
Il faut ensuite la déliter, la retailler un peu et la poser sur un lit de sable qui recouvre la voûte. Elles est plus lourde à manipuler, un toit pesant entre 250 et 450 kg au m² selon l’épaisseur des lauzes. Chaque lauze doit recouvrir de deux tiers la lauze du rang supérieur.
La lauze de schiste, plus légère, fait l’objet sur Causses et Cévennes d’une extraction artisanale, le carrier étant le plus à même de la pré-tailler. Cette dernière, non gélive, est pointée sur une charpente de bois.
Aujourd’hui, le savoir-faire de lauzier est enseigné sur le Bien en complément de la formation de couvreur, perpétuant ainsi une tradition détenue par une poignée d’artisans et qui contribue à embellir les villages et à faire en sorte que ceux-ci soient en harmonie avec le paysage qui les entoure.
La transhumance
Depuis le 6 décembre 2023, la transhumance est inscrite sur la Liste du Patrimoine Culturel Immatériel (PCI) de l'UNESCO. Cette candidature regroupe la France, la Grèce, l’Autriche, l’Italie ainsi que l’Espagne, l’Andorre, l’Albanie, la Croatie, le Luxembourg et la Roumanie.
Forme de l’agropastoralisme, la transhumance (du latin trans, « au-delà », et humus, « terre ») consiste à déplacer, à certaines saisons, de grands troupeaux d’ovins, de bovins, de caprins et d’équins, sur des distances plus ou moins longues. En France, elle subsiste de manière vivante et organisée dans plusieurs territoires : Alpes, Corse, Jura, Massif Central, Provence, Pyrénées, Vosges, où elle modèle, avec une grande diversité de formes, les relations entre les hommes, les animaux et les écosystèmes.
La transhumance contribue à maintenir des espaces d’altitude ouverts, puise les ressources là où elles sont en pratiquant une agriculture avant tout extensive et respectueuse de la biodiversité. Au-delà du folklore bien connu que sont les montées des troupeaux, moments toujours joyeux lorsque défilent les troupeaux parés de sonnailles et pompons multicolores, la transhumance recèle également de nombreux savoir-faire que sont la conduite du troupeau, la garde, le soin aux animaux.
Aujourd’hui encore, ce sont 20 000 brebis qui transhument sur les monts Bougès, Lozère et Aigoual sur notre territoire et 800 km de drailles sont recensés. Ce sont ainsi une centaine d’éleveurs qui confient leurs troupeaux pour la saison d’été à une vingtaine d’estives collectives. Certains éleveurs embauchent des bergers saisonniers, d'autres sont éleveurs et bergers.
Les nuits de fumature et le migou
Parmi les pratiques qui ont lié de façon très étroite éleveurs des plaines et bergers des estives, on trouve les nuits de fumature, mentionnées dès le moyen-âge. Indispensables à la fertilisation des sols des hautes terres, les troupeaux étaient parqués la nuit afin que leur déjection apporte un fertilisant naturel très recherché.
Fortement réglementées et faisant même parfois l’objet d’actes notariés, les nuits de fumature nécessitaient de la part des bergers un gros travail, les obligeant parfois à déplacer le troupeau la nuit afin que les nuits de fumatures soient respectées. En effet, la durée de nuit de fumature était établie par rapport au tour de passade, c’est à dire au temps passé sur l’estive lui même subdivisé en nuits, pouvant parfois aller jusqu’à un quart de nuit entre les différents propriétaires !
La valeur des nuits de fumature peut parfois dépasser le prix des terres et sont inscrites dans le patrimoine du paysan, notamment sur le Mont Lozère. Une nuit de fumature avait bien plus de valeur que le rendement laitier par exempte ou que la laine.
Les nuits de fumature ont cessé en 1983, mais les bergers ramassent toujours le migou (déjections des brebis qui sont parquées la nuit) pour l’ensacher et le vendre à la fin de saison comme engrais naturel pour les jardineries, cela leur apportant un complément de revenu à la saison d’estive.
Le brûlage pastoral
Parfois également nommé écobuage, le brûlage pastoral est une pratique attestée dès le XVIIIème siècle sur Causses et Cévennes et encore utilisée aujourd’hui. La pratique consiste à brûler, intentionnellement, des terres envahies par la végétation afin d’ouvrir les milieux et amender les terres grâce au végétaux brûlés. Aujourd’hui, la pratique est strictement encadrée, notamment en raison du risque incendie de plus en plus prégnant. Des formations sont même proposées aux agriculteurs qui souhaitent parfaire leur maîtrise du feu.
La ganterie
Savoir-faire d’excellence, la ganterie est aujourd’hui assimilée à l’image de Millau, et pour cause. Dès le XIIème siècle, l’activité du travail de la peau est attestée à Millau. En 1308, par exemple, un inventaire des biens de la commanderie de Sainte-Eulalie fait état des troupeaux de brebis regroupés à La Cavalerie et des stocks de peaux d’agneaux qui étaient déjà transformées en parchemin dans les mégisseries de Millau. Le savoir-faire des artisans de Millau est donc attesté très tôt, le parchemin étant un bien particulièrement précieux au moyen-âge.
Ces peaux des troupeaux caussenards permettront ensuite l’essor du savoir-faire de gantier, générant une forte économie autour de la peau en mobilisant de nombreux métiers depuis les mégissiers jusqu’aux couturières et gantiers.
De nombreuses familles millavoises comptaient des couturières qui prenaient le travail à domicile, en sus des couturières présentes dans les entreprises. Aujourd’hui, le savoir-faire de gantier est détenu par quelques entreprises millavoises, qui vont par ailleurs déposer une candidature au patrimoine culturel immatériel (PCI). Leur savoir-faire est notamment mobilisé pour la haute couture pour laquelle ils réalisent des pièces d’exception.
Le travail de la laine
Les habitants des Causses et des Cévennes ont su continuer à faire vivre et à faire évoluer les savoir-faire liés au travail de la laine. De l'apogée des industries de textiles au XIXème siècle, notamment celles de Lodève, surnommée l'ancienne capitale du drap, à leur déclin au cours du XXème siècle, l'art de produire des fils textiles perdure ça et là, sur le territoire.
Le travail de la laine requiert une grande exigence en terme de solidité, d'élasticité, de régularité et de grosseur (ou « numéro ») du fil. Pour pouvoir confectionner un fil continu qui possède ces qualités, il faut transformer la laine par plusieurs opérations destinées à épurer, nettoyer, démêler et isoler, paralléliser, régulariser, affiner et tordre. Voici quelques unes des premières étapes de la transformation de la laine :
La tonte
A l'aide d'une tondeuse électrique, on peut tondre un mouton en moins de trois minutes. En moyenne, un tondeur de moutons professionnel tond 100 à 150 moutons par jour et certains champions australiens atteignent jusqu'à 300 moutons. Cette opération a lieu au printemps, en général une fois par an. Si la tonte est utile à l’homme car il récolte une matière première naturelle aux qualités uniques, elle est surtout une condition du bien être animal et est indispensable à sa bonne santé.
Le tri
A la ferme, les différentes parties de la toison sont classées en lots suivant leur qualité. En effet, de nombreuses impuretés se retrouvent dans la toison et peuvent représenter jusqu'aux deux tiers du poids de celle-ci. Il s'agit principalement du suint, de la graisse, de la terre, du sable, de la paille, des graines disséminées et des chardons. Les toisons sont ensuite pliées et roulées en balles (de 170 kg en moyenne) avant d'être acheminées vers les centres de vente, lavage, puis vers les usines textiles.
Le lavage
Naturellement grasses, les toisons retiennent poussières et débris végétaux. La laine brute est alors trempée, dégraissée, lavée, rincée et enfin séchée. La graisse, ou suint, est récupérée et raffinée, pour être utilisée en pharmacie et dans la fabrication des produits de beauté sous le nom de lanoline. Toute la matière grasse n'est pas enlevée pour qu'une légère partie soit laissée sur la fibre, afin d'en faciliter le travail.
Aujourd’hui plusieurs initiatives voient le jour pour mieux valoriser cette ressource, que ce soit pour l’inclure à de la toile de jean ou fournir en quantité et qualité suffisante les artisans tisserands.
L'occitan
De moins en moins parlé, l’occitan reste cependant très utilisé dans la culture agropastorale. Que ce soit pour guider les chiens, appeler le troupeau, pour échanger entre certaines générations, dans la toponymie et pour nommer le patrimoine agropastoral. L’occitan, également nommé langue d’Oc, est une langue romane parlée dans le sud de la France. Provençal, languedocien, gascon ont ainsi une origine commune qui s’étend sur le piémont italien et vers la catalogne en Espagne.
Les Causses et les Cévennes ont particulièrement été mis en avant par un fort courant littéraire régionaliste comme par exemple au travers de l’œuvre poétique de Max Rouquette (1908-2005), un des plus grands poètes occitans.
Aujourd’hui encore les attributs du Bien UNESCO sont quasiment tous nommés en occitan et il n’est parfois pas simple de trouver une traduction qui corresponde parfaitement au français utilisé dans le thésaurus de la base d’inventaire Mérimée !
Les croyances
Quelque soit sa culture, l'homme a toujours cherché à se rassurer ou à faire appel à une force supérieure pour s'attirer protection et bienveillance. Au fil des siècles, si les divinités varient, la dévotion et la piété sont toujours présentes et marquent le paysage.
Les pratiques liées à l'agropastoralisme n'échappent pas à l'emprise grandissante du christianisme : les rituels ou pratiques cultuelles se diffusent notamment avec la bénédiction des troupeaux et des cultures, tandis que des chapelles dédiées aux saints protecteurs se multiplient sur le territoire.
Des Saints comme protecteurs
Parmi ces derniers, figurent : Saint Roch invoqué pour les maladies du bétail, Saint Blaise pour celles des petits ruminants, Saint Jean-Baptiste pour les agneaux, Saint Côme et Saint Damien pour les animaux en général, Saint Marc protecteur des éleveurs, Saint Loup protecteur des bergers ou Saint Gervais et Saint Protais invoqués pour éloigner les fléaux…
Des bâtis de croyances
La majorité des chapelles sont de beaux édifices romans situés en général à proximité de chemins de transhumance comme la chapelle Saint-Côme située au Tourelle (Mas-Saint-Chély). La chapelle, parfaitement intégrée dans cet espace minéral, domine le causse Méjean mis à nu à la suite d'un grand incendie en 2003.
Les chapelles peuvent aussi être implantées le long des chemins de pèlerinage. Ainsi, Saint-Gervais-et-Saint-Protais, au hameau des Douzes dans les gorges de la Jonte, se situe en haut d'un sentier menant au Roc du même nom. Le lieu fut très tôt voué au recueillement, puisqu'un ermitage y est attesté dès le IXème siècle. La chapelle qui y est érigée devient paroisse à la suite de la croisade contre les Albigeois au XIIIème siècle. Bien que difficile d'accès, mariages, enterrements et processions y sont célébrés. Un cimetière est encore visible sur les lieux. Début juillet, on y célèbre le pèlerinage pour les biens de la terre (maisons, troupeaux, cultures…). Chacun apporte une branche de buis qui, une fois bénite, est conservée dans le lieu à protéger. La chapelle daterait de la fin du XIIème ou du début du XIIIème siècle.
Certaines croix avaient aussi un fonction votive en lien avec les troupeaux telle que celle du Buffre, la plus ancienne de Lozère (1 161), qui possède un bénitier sculpté sur son fût, dans lequel on trempait une branche de buis pour bénir les pèlerins (car située sur une voie de pèlerinage) mais aussi les troupeaux.