Depuis plus de 5 000 ans, l'agropastoralisme a su faire preuve de résilience face aux nombreux bouleversements économiques, sociologiques ou environnementaux. Nos sociétés actuelles se confrontent dès à présent à de nouveaux défis d'envergure impliquant l'ensemble de l'humanité : le changement climatique et l’effondrement de la biodiversité questionnent le mode de vie occidental. Dans ce contexte en pleine mutation, l'agropastoralisme doit trouver sa place et son rôle. Entre les enjeux de transmission aux générations futures d'une culture et d'un patrimoine exceptionnels, l'adaptation des pratiques pastorales aux dérèglement climatique, la contribution à une alimentation de qualité, la préservation des milieux ouverts riches en biodiversité, la sobriété énergétique ou encore la viabilité économique des exploitations agricoles, plus que jamais l’activité pastorale multiséculaire des Causses et des Cévennes devra faire preuve d'ingéniosité et de réactivité pour faire face aux transformations à venir.
Maintenir et conforter le niveau de pastoralisme des exploitations
Bien que les surfaces pastorales soient très largement dominantes sur le territoire et à l'échelle des exploitations, leur mobilisation dans les systèmes de production n'est pas toujours optimale.
En effet, les politiques de modernisation d'après-guerre ont contribué à la spécialisation des exploitations, leur agrandissement, une plus forte dépendance aux fourrages et une moindre utilisation des parcours. L'avènement des clôtures a entraîné une perte de savoir-faire dans la conduite des troupeaux pour la valorisation optimale des surfaces pastorales. En corollaire, la promotion des pratiques pastorales dans le conseil agricole et dans la formation est aujourd'hui réduite.
Le niveau de pastoralisme des exploitations du territoire (c'est à dire la part de l'alimentation du troupeau provenant des parcours) doit être renforcé non seulement pour assurer le maintien des qualités paysagères du site et de la culture pastorale mais également pour gagner en autonomie fourragère et mieux résister aux aléas climatiques ou économiques. Il conditionne également l’état de conservation des milieux ouverts favorables à une biodiversité exceptionnelle.
Maîtriser l’urbanisation des villages et hameaux
Les villages et hameaux des Causses et des Cévennes ont pour la plupart conservé une grande qualité architecturale. Néanmoins, certains aménagements peuvent porter atteinte aux paysages du fait d'un trop grand contraste avec le bâti traditionnel (restaurations banalisant le bâti, constructions pavillonnaires sans rapport, hangars agricoles surdimensionnés et mal intégrés…).
La catégorie des paysages culturels vivants et évolutifs crée par l’UNESCO traduit la volonté forte de ne pas mettre des territoires sous cloche mais au contraire, de préserver leur longue histoire d’adaptation afin de permettre aux habitants d’y vivre et de les faire vivre.
Sur le territoire, peu de communes sont dotées d'un document de planification et ces derniers, quand ils existent, n'intègrent pas nécessairement les enjeux de préservation du site. Pourtant ces documents jouent un rôle essentiel dans l'aménagement du territoire et peuvent aussi influencer les activités pastorales, par exemple en précisant des zones à vocation pastorale.
L’intégration des spécificités du paysage culturel dans les plans d'aménagement est un levier indispensable à mobiliser pour établir un cadre réglementaire efficace de préservation du site.
Sauvegarder et transmettre le patrimoine bâti agropastoral
Si certains attributs bâtis du paysage culturel des Causses et Cévennes ont encore une réelle utilité pour les activités agropastorales contemporaines, d'autres sont peu utilisés car leur conception en limite souvent l'usage actuel, ou ont totalement perdu leur utilité première et semblent voués à disparaître. L'absence d'usage entraîne alors une situation d'abandon menant à des dégradations rapides sous l'effet notamment de la végétation ou des intempéries.
D'autres conjonctures peuvent accélérer cette dynamique. Par exemple, le cadre réglementaire sur l'eau rend difficile le maintien de l'usage de certains ouvrages hydrauliques comme les béals. En Cévennes, le niveau d'aménagement des versants en terrasses est très élevé mais en l'absence d'un fort renouveau agricole et démographique, une grande partie de ces espaces est aujourd'hui à l'abandon malgré leur intérêt agronomique. Sur les causses, la conversion des surfaces de parcours en prairies labourables peut entraîner la destruction de clapas ou de murets.
Cette situation questionne l'effacement progressif de ces témoignages dans les décennies à venir, en l'absence de restauration, de sensibilisation ou de valorisation. Ces éléments patrimoniaux sont nombreux mais diffus et le plus souvent sur du foncier privé. Le niveau de connaissance doit être renforcé pour mieux évaluer l'état de conservation et établir des stratégies adaptées.
Concilier les enjeux nationaux de transition énergétique avec les enjeux paysagers
La transition énergétique pour une diminution des émissions de gaz à effet de serre est un enjeu national important dont le territoire des Causses et des Cévennes ne peut être exclu. Sa réussite dépend de la capacité à faire progresser la part d'énergie renouvelable et à atteindre une plus grande sobriété énergétique.
Pour atteindre les objectifs nationaux, la loi climat résilience du 22 août 2021 instaure à présent un cadre facilitateur pour le développement des énergies renouvelables et oriente vers le développement de projets photovoltaïques en co-activité avec l’élevage ou l’agriculture. La loi relative à l’accélération des énergies renouvelables du 10 mars 2023 vient préciser cette notion d’agrivoltaïsme :
« Une installation agrivoltaïque est une installation de production d’électricité utilisant l’énergie radiative du soleil et dont les modules sont situés sur une parcelle agricole où ils contribuent durablement à l’installation, au maintien et au développement d’une production agricole ».
Dans ce nouveau contexte sociétal et réglementaire, l’émergence de projets photovoltaïques ou éoliens industriels au sein du territoire inscrit, impose aux décideurs d’évaluer le poids de leur intérêt commun par rapport aux préjudices que ces aménagements pourraient causer sur la valeur exceptionnelle du site. Sur les Causses et les Cévennes, la question de la transition énergique doit donc être abordée d'une façon globale et au regard des enjeux de conservation du site dont celui du maintien de l'activité agropastorale dans un contexte énergétique différent.
L'adaptation des modes d’élevage à la présence du loup
Depuis maintenant plus d'une décennie, le loup est présent de façon régulière sur le Sud du Massif-Central, confrontant les éleveurs des Causses et des Cévennes au risque de prédation sur leurs troupeaux. Cette situation nouvelle n'est pas sans générer des tensions et des inquiétudes. Dès 2013, le Conseil Scientifique du Bien alertait dans une résolution sur la vulnérabilité des élevages et la nécessité de développer des dispositifs d'adaptation spécifiques au territoire.
L'enquête auprès de la population agricole réalisée dans le cadre du renouvellement du plan de gestion révèle notamment des changements de pratiques en réaction au risque prédation, en particulier le renforcement du temps passé en bergerie, l'arrêt du pâturage nocturne, comme il est d'usage sur les causses, ou l'abandon des parcours les plus éloignés. Ces changements renforcent la déprise pastorale déjà constatée, et les dynamiques paysagères associées (fermeture des milieux, augmentation des cultures fourragères).
Le Bien Causses et Cévennes se trouve donc au croisement de plusieurs enjeux de préservation : la protection de l’environnement et de la biodiversité dans toutes ses composantes, la prise en compte des intérêts économiques et sociaux de la population et la préservation des attributs culturels du Bien et de sa valeur exceptionnelle.
La résilience des activités pastorales face au changement climatique
Le changement climatique lié à l'augmentation des gaz à effet de serre dans l'atmosphère constitue un défi majeur pour l'ensemble de l'humanité. En effet, ce phénomène s’est hissé depuis quelques années au premier rang des menaces affectant les sites inscrits au patrimoine mondial, devant les risques géopolitiques.
Les effets attendus seront vraisemblablement à l’origine d'importantes transformations du paysage culturel des Causses et des Cévennes :
- Les activités agropastorales en particulier seront directement impactées par les modifications des cycles de végétation liées aux gelées printanières, à l’excès de chaleur ou aux sécheresses à répétition : redistribution spatiale des ressources pastorales, diminution des stocks fourragers, hausse du prix du foin, tensions et conflits pour l'accès aux ressources en eau...
- Par ailleurs, une augmentation de la fréquence et de l'intensité des événements extrêmes (épisodes cévenols, inondations, sécheresses, érosion…) est à prévoir dans les décennies à venir. L'intensification des épisodes pluvieux, en particulier, pourrait avoir un impact important sur les ouvrages hydrauliques traditionnels (béals, tancat, barrage de prise d'eau..) ainsi que sur les systèmes de terrasses cévenoles. Des dégâts trop importants peuvent déstabiliser économiquement des exploitations et accélérer l'effacement des ouvrages abandonnés.
- L'influence du changement climatique sur les structures végétales aura également un fort impact paysager. Par exemple, le couvert forestier subira les canicules et les sécheresses à répétition, les gels tardifs de bourgeons plus précoces, les vents violents, la progression de certaines espèces invasives et destructrices ou encore l’augmentation du risque incendie.
- Enfin, les solutions qui seront adoptées par les agriculteurs/éleveurs pourraient également entraîner d'importantes modifications du paysage agricole.
Le manque d'eau
La question de la raréfaction de la ressource en eau, est également préoccupante. Le déficit hydrique est particulièrement marqué sur l’ensemble du territoire du Bien Causses et Cévennes ces dernières années. En effet, la répartition temporelle des précipitations évolue et les périodes dites de rechargement des réserves en eau se réduisent chaque année davantage. L’augmentation de l'intensité, de la fréquence et de la durée des épisodes d'étiage cause une baisse généralisée des débits moyens jusqu’à atteindre un assèchement des cours d’eau. Ces évolutions s’inscrivent dans un contexte d’accroissement démographique et d’augmentation des besoins en eau, soumettant de plus en plus fréquemment le territoire à des restrictions d'eau, voire à des ruptures d’approvisionnement pouvant entraîner des conflits entre les différents usages de l’eau.
Dans ce contexte, le maintien des activités pastorales et la viabilité des exploitations dépendront d’adaptations qui doivent, dès à présent, être anticipées : évolution des dates de mise à l’herbe et de sortie des animaux, des dates de fauche, adaptation et diversification des cultures fourragères, utilisation plus efficace des parcours, reconquête de parcours, introduction de parcours boisés, recours à des races plus rustiques… sont autant de leviers importants. Plus globalement, la remobilisation des savoir-faire pastoraux traditionnels pourrait être un levier potentiel de résilience des systèmes d'élevage face au changement climatique et à la diminution de la ressource en eau, notamment par la capacité à aller chercher les ressources alimentaires là où elles se trouvent, quand elle s'y trouvent.